Axe 1

AXE 1 : L’étude des périphéries/marges urbaines de Port-au-Prince

L’empreinte urbaine de Port-au-Prince s’est significativement étendue depuis les dernières décennies jusqu’à constituer un quasi continuum urbain entre Léogane (au Sud), et Arcahaie (au Nord). Bien que contenu au Sud-Est par le Morne l’Hôpital, l’habitat gagne les pentes du morne, qui s’urbanise depuis Jalousie jusqu’à Gressier. Cette croissance urbaine (CattaneoPineda, 2012 ; Baráth, 2010) rapide reflète l’attractivité de la capitale, et le statut d’espace d’opportunités qu’elle constitue. Pourtant, cette expansion non planifiée, sans investissements et pesant sur des infrastructures déjà saturées et défaillantes, entraine la production de territoires vulnérables, marqués par la précarité sociale et urbaine, l’exposition aux risques divers et le renforcement des ségrégations socio-spatiales.

Ces nouvelles dynamiques s’observent mieux aux marges de la ville, dans une bande périphérique mal définie, non cartographiée, aux limites dynamiques. Dans ces franges, la ville s’étale. Mais cette croissance n’est pas homogène : quels territoires sont aujourd’hui les plus attractifs pour les populations ? La configuration du site est-elle un frein ou un facteur favorable à l’expansion ? Comment caractériser les pôles de croissance du nord et du sud, l’un dominé par l’irruption de Canaan (le plus important phénomène urbain issu du séisme), l’autre solidifiant la situation de quasi conurbation entre Carrefour et Léogane ? Quelle situation de l’existant rural dans ces marges : résistances, délitements, opportunismes ? L’étude de la périphérie de Port-au-Prince permettra de croiser plusieurs approches :

- l’étude cartographique précise la limite d’urbanisation de la région métropolitaine, notamment basée sur des critères de densité de bâti et d’accès aux infrastructures et aux services ; (Arnaud, 2008) et à des dates différentes pour quantifier et cartographier l’étalement urbain.

- l’étude paysagère du site : entre morne et plaine, quelles artificialisation du site ? Quelle forme urbaine pour ce tissu non planifié ? Quelles relations au littoral ? Quels points de vue offrent la topographie du site ? Comment les formes urbaines traduisent-elles des usages spécifiques ?

- l’étude sociologique : Quels sont les nouveaux arrivants ? Quelles sont leurs motivations ? Quelles sont les modalités d’installation ? Quelles sont les interactions avec l’existant ? Quelles réactions et quelles politiques pour l’existant ? (Sallenave, 2014).

- l’étude de l’accès aux services et infrastructures  : quelles infrastructures sont mises en place ? Quels services ? Quelles activités ? Quelles relations avec le centre ? Quelles disponibilités du foncier ?

L’ensemble s’attachera à produire des éléments d’analyse objectifs (données quantitatives), ainsi que des cas d’études spécifiques, permettant d’illustrer des trajectoires types, reflet d’une dynamique globale (entretiens, études qualitatives).

- l’étude archivistique : la dynamique urbaine nécessite la prise en compte des temporalités de la ville, le projet vise une étude des archives sur le processus historique récent de l’étalement de la ville.

L’axe 1 fait l’objet d’une étude globale de la périphérie à l’échelle métropolitaine (cartographie, analyse, données quantitatives et qualitatives), qui est étayée d’études de sites détaillées. Celles-ci est représentatives de la diversité des appropriations socio-urbaines et des différences géographiques. L’étude se basera sur plusieurs sites détaillés, répartis le long d’une "ceinture périphérique", qui fera elle-même l’objet de propositions de délimitations. Un de ces sites sera situé à Gressier (Boko) , et sera étudié de façon transversale avec l’axe 3 du projet.

Axe 2

Axe 2. Vulnérabilités des grandes "artères écologiques",  à Port-au-Prince

Port-au-Prince est une capitale fondée sur un site exceptionnel, entre mer et colline, entre les contreforts de la Chaine de la Selle et le golfe de la Gonâve, entourée de deux plaines agricoles fertiles, la plaine du Cul de Sac et la plaine de Léogane. Malgré ces conditions géographiques favorables, la ville souffre d’un environnement dégradé (Bresson et al, 2013) : peu d’espaces verts, urbanisation des flancs des mornes, littoral pollué et occupé par des quartiers insalubres, mauvaise qualité du bâti, généralisation de l’habitat précaire... Cette étude s’attachera à montrer les modes de production d’espaces vulnérables en particulier ceux situés sur des sites naturels fragiles (Léone et al, 2006). A Port-au-Prince, ces sites se retrouvent notamment sur les flancs des montagnes, dans les vallées des rivières ou sur les littoraux. L’étude tant à l’échelle des bassin-versants que des vallées des cours d’eau, ravines, qui traversent la capitale dévoilera les modes de leur émergence, ainsi que leur gestion actuelle (par les autorités, les habitants ordinaires…). En effet, la majorité de ces espaces connaissent une vulnérabilité forte tout autant écologique, économique que sociale La compréhension de leur fonctionnement pourrait s’avérer une opportunité de développement pour la capitale, redéfinissant les modes d’occupation et de gestion d’un bassin-versant urbain. Ces réflexions seront mises en perspectives avec les enjeux de gestion des risques : risques sanitaires (Bras et al, 2009), d’inondations, glissement de terrain, risque sismique. L’étude se basera sur l’analyse de la ravine Bois-de-Chêne, considérée comme un des systèmes caractéristiques (Décamp et al, 2010) de la vulnérabilité urbaine de Port-au-Prince. Bois-de-Chêne est un cours d’eau qui traverse la ville des hauteurs de Pétion-ville au littoral dans une direction généralement sud-est/sud-ouest. Un premier travail consiste à la cartographie des limites et des caractéristiques physiques de son bassin versant : un site fragile allant des hauteurs de Jalousie au littoral de Cité-l’Eternel.

Une analyse socio-économique, enquêtes quantitatives et qualitatives auprès des habitants et entretiens avec les différents acteurs, sera aussi menée pour déceler la complexité et la différenciation croissantes de son occupation sur un ensemble de sites. Une approche par les représentations sera aussi entreprise afin de comprendre la façon dont les différents acteurs perçoivent cet espace (Tamru, 2002) en particulier les autorités de la ville. Des entretiens auprès des décideurs, des habitants de la ravine et d’autres parties de la ville, appuyés par la réalisation d’un film scientifique permettra d’élargir cet aspect selon un regard comparatif. Des études archivistiques et de la presse seront conduites pour comprendre la polysémie d’appréhension de cet ensemble. Une attention plus particulière sera donnée au foncier et aux mécanismes ayant permis les occupations successives d’un site théoriquement inconstructible. L’ensemble des résultats permettra la compréhension des mécanismes d’émergence et d’intégration d’un système particulier au sein du tissu urbain de Port-au-Prince, système qui d’une artère écologique, ou « coulée verte », est devenue un espace d’habitat voire d’activités. La ravine Bois de Chêne sera le terrain d’étude privilégié de l’axe 2 du projet de recherches et sur la totalité des 11 kilomètres du parcours du cours d’eau. L’étude cartographique sera réalisée sur l’ensemble du linéaire des hauteurs de Jalousie jusqu’à l’embouchure. Au moins six sites seront par la suite sélectionnés pour les travaux d’enquêtes socio-économiques et l’identification d’acteurs (associations, ONG, institutions étatiques). Bourdon sera un des sites privilégiés de par l’ampleur de l’emprise de l’habitat dans la ravine. L’axe 2 sera examiné de façon transversale par les deux autres axes, avec l’axe 1 sur l’étalement urbain par l’occupation des pentes et par les avancées sur la mer et aussi par l’axe3 sur la présence d’un habitat et des activités quasi exclusivement informels.

Axe 3

Axe 3 : Les systèmes informels qui produisent la ville.

Le fonctionnement de Port-au-Prince repose en grande partie sur des systèmes informels qui se substituent à des services inexistants ou les complètent. Ils sont particulièrement présents dans les quartiers pauvres et précaires : d’une part parce que les fournisseurs de service, publics ou privés, n’ont souvent pas investis ces zones ou parce que les usagers ne répondent pas aux conditions exigées par les pourvoyeurs de services. Ces systèmes informels peuvent prendre différentes formes : détournement ou appropriation de systèmes formels défaillants (réseaux d’eau et d’assainissement, approvisionnement en électricité), auto-construction de logements et auto-organisation d’aménagement de quartiers en alternative à l’absence d’actions régulières et légales des autorités ou des promoteurs fonciers et immobiliers privés (habitat), ou stratégie économique de survie puis d’intégration urbaine (artisanat indépendant, vente dans la rue, activités frauduleuses et illicites, …). Comme dans la majorité des villes des pays en développement, la superposition de deux systèmes, formel et informel, parvient cependant à tisser à Port-au-Prince un ensemble urbain fonctionnel en mesure de répondre aux nécessités basiques des habitants les plus démunis.

Il faut rappeler que l’informalité est un vaste domaine d’intérêt dans l’organisation urbaine qui a d’abord été mis en valeur au plan économique par le BIT (Bureau International du Travail) dans les années 1960 (BIT, 2004 ; Lautier, 1994 ; Charmes, 1987), mettant en évidence l’incapacité des entreprises à engager de nouveaux salariés et aux autorités publiques l’incapacité à favoriser la création de nouveaux emplois reconnus officiellement. La venue de migrants en ville et l’incapacité des municipalités et des promoteurs fonciers et immobiliers privés à aménager, en nombre et en service, de nouveaux lotissements, ont poussé ces nouveaux citadins à occuper des terrains non utilisés pour édifier eux-mêmes leurs logement et à s’auto-organiser pour l’aménagement minimal de ces quartiers. Turner, dès la fin des années 60, puis de nombreux auteurs, ont démontré que la production de l’habitat est très largement le fait des usagers et que seules des actions d’accompagnement permettent d’améliorer les conditions de vie de ces familles pauvres (Gilbert, 2009 ; Huchsmeyer & Karam, 2006 ; Durand-Lasserve, 2006 ; Bolay, 2006 ; Imparato & Ruster, 2003 ; Pedrazzini et al, 1999 ; Turner, 1977). Très rapidement ces questions urgentes à traiter, mais multiples et touchant tous les secteurs de la vie urbaine, ont amené les analystes à interroger l’informalité dans sa globalité, avant de porter leur regard sur l’un ou l’autre secteur technique ou économique en particulier. C’est donc bien l’ensemble du processus de planification urbaine et d’aménagement du territoire qui est désormais analysé pour en comprendre les dynamiques (Roy, 2003, 2005, 2009, 2011 ; Watson 2009 ; Choguill, 1994 ; Balbo, 1993). Tenant compte de cette problématique et des thématiques qui ont guidé les travaux au plan international, cet axe de recherche s’attachera d’abord à définir, dans le cas de Port-au-Prince, le concept d’informalité urbain et d’en saisir les implications sectorielles ; il visera ensuite à comprendre le fonctionnement et les interactions entre ces systèmes, formel et informel, de manière à saisir, selon les acteurs en place, avantages et inconvénients de cette organisation territoriale et socio-économique dans la structuration de Port-au-Prince. La recherche s’efforcera de montrer que les stratégies de recours aux services informels n’est pas l’apanage des habitants les plus pauvres, mais constitue la voie privilégiée par une majorité de citoyens haïtiens, y compris ceux issus des classes plus aisées de la société, comme de récentes recherches l’ont montré (Chenal, 2011). La recherche vise enfin à donner les leviers nécessaires à de nouvelles politiques urbaines prenant en compte l’informalité en vue d’une gestion durable de la ville. Une analyse comparative au travers d’étude de cas dans trois domaines qui seront choisis dans la première partie de la recherche. Ils doivent permettre de mieux appréhender le fonctionnement urbain, les ressources nécessaires et leur efficacité, mais également les conséquences sociales et les coûts qu’ils représentent par rapport à des systèmes formalisés. Quatre sites seront choisis à Port-au-Prince dans des quartiers à la fois centraux et périphériques. Ils seront ainsi l’occasion d’analyser les stratégies des différents acteurs du système informel (par exemple, intermédiaires, usagers, propriétaires, puissance publique, …) dans les trois domaines qui seront choisis préalablement. Les résultats des enquêtes menées auprès de ces acteurs permettront de recenser les organisations de l’espace découlant de ces systèmes informels, ce qui permettra à terme de mettre en évidence les logiques d’action propres aux systèmes informels en milieu urbain dans des situations de crise comme a connu la capitale haïtienne après le séisme de 2010.

Les quatre sites seront situés à l’intérieur de l’aire métropolitaine : Canapé Vert et un site dans la ravine Bois de Chêne transversalité avec l’axe 3 ; Carrefour Feuille ; le centre-ville et Canaan en périphérie qui permet une transversalité avec l’axe 1. La première phase de la recherche déterminera les « domaines de l’informel », donnant un état des lieux exhaustif sur la question à Port-au-Prince. Cette phase débouchera sur le choix des domaines à approfondir. Dans une deuxième phase, nous quantifierons le phénomène par des enquêtes de terrain, les résultats attendus aident à comprendre l’ampleur du phénomène. La troisième phase de la recherche qualifiera l’informel. Des entretiens semi-directifs se feront avec les acteurs institutionnels ainsi qu’avec les représentants d’entreprises privées travaillant dans les secteurs concernés par les domaines choisis. Une série d‘entretiens approfondis seront faits avec les acteurs de l’informel permettra également de spatialisé la présence de l’informel dans les quartiers (parcours des acteurs, lieux spécifiques, etc. La phase nous permettra d’approfondir les mécanismes de l’informalité. Enfin une ultime phase analysera les résultats des phases précédentes, recoupera les enquêtes de terrains de la phase 2 avec les entretiens de la phase 4 permettant ainsi de définir le concept d’informalité urbain, de comprendre le fonctionnement et les interactions entre ces systèmes, formel et informel et enfin de mettre en avant les leviers pour de futures politiques publiques tenant compte des résultats de recherche. Les entretiens se feront avec trois types d’acteurs : 1) Les acteurs institutionnels, afin de déterminer le rôle des administrations publiques locales et des agences décentralisées dans l’organisation de ces quartiers et leur perception des avantages et risques de l’informalité des processus ; 2) Les acteurs représentatifs du secteur privé engagés dans les domaines sélectionnés par la recherche, de manière à comprendre leurs activités et évaluer leur perception des avantages et risques de l’informalité des processus dans lesquels eux travaillent également ; et enfin 3) Les actifs du secteur informels